Sur les traces de la chapelle de la Commanderie
Dans son Répertoire archéologique de l’arrondissement de Vendôme, G. Launay mentionne la Commanderie d’Artins et note à ce propos qu’en 1889 la chapelle se trouve dans le prolongement du corps de logis. Cette dernière semble convertie en grange à cette date. Bien ! Mais quelle grange ? Dans le prolongement de quel corps de logis ?
Sur le plan du cadastre napoléonien, ci-dessous, deux grands bâtiments couverts apparaissent : un rectangulaire long orienté Est-Ouest dont l’emprise au sol correspond, en partie au corps de bâtiment subsistant (A). Il manque le tiers ouest de ce bâtiment, entre l’escalier des chambres d’hôtes et le portail (1b). L’autre bâtiment dessiné est orienté Nord-Sud faisant angle droit avec le précédent et s’avançant côté cour (B). Celui a aujourd’hui disparu. Les murs mitoyens seront donc à observer minutieusement pour poursuivre notre enquête.
Il est probable que la chapelle a été orientée sur un axe Est-Ouest. La partie orientale des bâtiments est pourvue d’une tour d’angle ce qui semble peu compatible, pour l’heure, avec une chapelle. La partie occidentale du bâtiment, la plus longue est une maison d’habitation depuis fort longtemps (1a). Mais quel est le sens de ce « depuis fort longtemps » ?
Nous avons poursuivi nos recherches en ajoutant aux textes de Launay, ceux de Saint-Venant dans son Dictionnaire du Vendômois. Cet auteur mentionne que l’on peut faire le tour de la chapelle et que son plan est rectangulaire avec un chevet à pans (et non un chevet semi circulaire). La voute est dite en plein cintre. Launay précise dans sa visite que la chapelle mesure 14 mètres de long sur 6 mètres de large ; il estime les murs à 1 mètre d’épaisseur. Cette information tend à indiquer que le voutement était en pierre et non en bois.
Où trouver un tel bâtiment ? Les dimensions correspondent à peu près à la partie la plus occidentale du bâtiment actuel de la Commanderie (1a). Le plan de la chapelle pouvait aussi occuper le terrain du jardin entre le bâtiment actuel et le portail (1b). En regardant bien, le mur séparant la cours du jardin, est dans l’alignement du bâtiment. Mystère donc.
Si la chapelle avait été érigée à l’emplacement du jardin ; où sont les remblais ? Certes les pierres de taille sont récupérées et réemployées mais le volume de déblais d’une voute, de murs devraient former encore un petit monticule. Or le jardin est plutôt en creux à cet endroit. Peut-être que ce bâtiment disparu avait une structure plus légère et peu de hauteur. Rien n’est avéré cependant. Si l’occasion m’était donnée de planter quelques fleurs, je pourrais envisager un début de réponse. Mais que nenni, l’interdiction de sortir muni de tout instrument creusant court toujours ! Malédiction.
Changeons de sources et reprenons donc notre décodage paléographique à partir des Terriers de ladite Commanderie conservés aux Archives Départementales de Poitiers. Le Terrier de 1786 mandé par Monseigneur le chevalier d’Auray de Sainte-Poix offre d’autres informations. En effet dans le procès-verbal d’améliorissement, le notaire mentionne que la voute de ladite chapelle est lézardée dans toute sa longueur et qu’elle a poussé le mur ce qui l’a fait lézarder dans plusieurs endroits. Il note aussi la cause possible de ce désordre. On lui a rapporté que cet accident avait été occasionné de mémoire par un tremblement de terre, et qu’effectivement il en a retrouvé trace dans les anciens procès-verbaux. Notons que des tremblements sont répertoriés à Sainte-Maure de Touraine en 1657, à Langeais en 1706, et à Parthenay en 1772, donc dans un périmètre géographique relativement proche.
Tremblements de terre, certes….mais il n’est point facile de retrouver des traces anciennes de lézardes dans les murs, aujourd’hui ! Toutefois, les dégâts mentionnés confortent plutôt notre idée d’une voûte en pierre.
Le procès-verbal indique aussi que la chapelle est carrelée sur toute sa longueur (et non dallée ou pierrée). Il s’agit peut-être de carreaux en terre cuite assez grands. Un indice à garder en mémoire : les dalles de pierre sont moins faciles à réutiliser, quoi que. Une grille en bois ferme le chœur ; d’après le Terrier la chapelle comprend six vitraux en bon état (six uniquement dans le chœur : c’est beaucoup !). Je vous rassure : il y a peu de chance de retrouver une grille en bois de petites dimensions, qui séparait le chœur de la nef (dite grille de communion) ; quant aux vitraux, si traces il avait, il y a longtemps qu’on vous l’aurait dit !
Cette description ne mentionne pas ici un chœur à pan coupé. En revanche, on sait que la chapelle avait deux portes, l’une est dite « neuve », l’autre « vieille mais en bon état ». Elles ne sont pas localisées précisément. Probablement une porte en façade et une porte latérale.
La cloche de la chapelle est notée « bien sonnante ». Certes, c’est le rôle d’une cloche qui pendant des siècles a scandé le temps de travail des paysans avec la succession des messes. Rappelons d’ailleurs que la messe de Complies clôture la journée de prières, la journée est donc ac- complie. La cloche donne aussi l’alerte. Mais où était-elle ? Dans un clocher : il n’est mentionné nulle part dans la visite des greniers et autres sous-pente. Dans un clocher ouvert : pas de mention non plus de la façade de la chapelle. Peut-être une cloche de taille modeste suspendue sur un des murs, vers une porte. Rappelons que le son de cette cloche devait être largement amplifié par la configuration du coteau et que son rôle est secondaire en regard de la cloche de l’église paroissiale située dans le vieux bourg aujourd’hui.
En 1786, la visite des lieux se poursuit ainsi : « ayant fait le tour extérieur de ladite chapelle, nous avons observé avec soin, quatre murs qui sont point ou très peu surplombés qu’on aperçoit extérieurement quelques-unes des lézardes, mais nous croyons que ce bâtiment ne menace pas ruine ». Il apparait de façon claire que la chapelle est bien un bâtiment indépendant dont on pouvait faire le tour. La façade semble quelconque puisque personne ne la mentionne. La chapelle est de hauteur modeste puisqu’on voit aisément la couverture (donc sans nécessité d’un recul). La visite continue : « la couverture en tuile nous a paru en bon état (en 1786 toujours), ayant visité la charpente l’avons trouvé en très bon état ».
Voilà qui est rassurant. La chapelle est en relativement bon état à la fin du XVIIIes. Mais où était-elle ? Allez, je vous donne un dernier indice. La mention suivante m’a fait bondir : le notaire est toujours sous la charpente quand il ajoute : « nous avons observé qu’on y avait joint les deux sablières par deux entraits bien armés de fer pour empêcher l’écart des murs ».
Saperlipopette, mais c’est bien sûr ! Aurions-nous une piste vraisemblable pour localiser la chapelle ? Peut-être… Aujourd’hui dans les chambres d’hôtes, des entraits en fer anciens sont visibles, raccrochant les sablières nord et sud. Il y a trois entraits en place, séparés de 3,60 entre eux. Nous avons effectué quelques relevés avec les moyens du bord et les murs récents en place ; voilà ce que nous avons trouvé. Les entraits fonctionnent par paire et semblent toujours en tension. Chaque entrait se situe sous une pièce de charpente. La 1ère paire est actuellement à 2,75 du mur pignon occidental, à 3,60 se situe la 2ème paire, puis 3,60 plus loin la 3ème paire qui, elle est à plus de 5m de l’autre mur pignon « oriental ». Ce mur correspond, au rez-de chaussée, a la séparation entre la salle et le salon.
Ce mur avoisine les 80 cm d’épaisseur, certes ce n’est pas le « mètre » annoncé mais c’est le seul de cette dimension dans tout le bâtiment. A l’étage à l’aplomb, le fronton est très épais car il fournit un quasi-totale insonorisation avec la partie orientale du bâtiment. Ce fronton n’est pas percé.
En partant de ce mur massif et en allant à l’ouest : le bâtiment mesure un peu plus de 16 mètres à l’extérieur et 6 mètres de large. Même le mètre-enrouleur a rendu l’âme devant ces dimensions qui rappellent ceux donnés pour la chapelle !
Certes, tous les murs ne font pas 1 mètre d’épaisseur. Les murs latéraux nord et sud sont plus étroits comme s’ils avaient été dédoublés ; le mur nord présente un léger talutage dans sa partie inférieure qui est assez curieux d’ailleurs. Dans la maison, un seul mur mesure 80 cm, c’est un mur de séparation entre 2 pièces, son épaisseur n’est pas justifiée dans la construction actuelle. Ce mur pourrait être le mur de pignon de la chapelle. Les autres murs cloisons font moins de 40 cm et un, sous l’escalier des chambres d’hôtes, fait environ 50 cm ce qui correspondant au pignon occidental. Ce dernier est percé d’une porte bien construite à une époque indéterminée et d’une petite fenêtre désaxée. Une petite archéologie du bâti pourrait nous apporter quelques pistes sous les enduits des murs. Bizarrement, l’idée que je puisse attaquer les murs intérieurs et extérieurs ne rencontre pas en franc succès ! Etrange, non ?
Pour les entraits, on en dénombre deux en 1786, quid du 3ème visible aujourd’hui ? Soit il n’a pas été vu car il était masqué par des éléments de charpente ou l’obscurité, soit il a pu être installé après la visite, vu l’état des lieux. Oui, admettons aussi qu’ils puissent avoir été posés plus tard. Toutefois leur forme est ancienne : ils sont formés d’un U en fer forgé suivi d’une tige plate. En les observant, on peut même donner la mise en place : les entraits s’accrochent d’abord au mur latéral nord puis ils sont tendus sur le mur sud. Les vis sont encore visibles sur tous les entraits au sud : le serrage s’est probablement effectué de ce côté. Pour plus d’informations, il faudrait observer attentivement la charpente, pièce par pièce, pour identifier les plus anciennes, des nombreuses pièces réemployées. Nous avons déjà trouvé l’arbre central d’un escalier à vis réutilisé en montant de cloison. C’est vous dire ! Certes, je pourrais démonter la charpente ; je ne suis pas sûre qu’un label « chambre d’hôtes avec vue sur ciel » soit franchement envisageable, ni souhaitable !
Dans le compte-rendu de la visite de la chapelle, la forme particulière du chœur à pan coupé n’est pas évoquée. Selon nos hypothèses et observations actuelles, celui serait alors tourné vers...l’ouest. Peu habituel mais pas impossible, il existe des édifices religieux occidentés (église, cathédrale).
Au rez-de-chaussée, le sol des pièces qui pourraient actuellement occuper la chapelle, est aujourd’hui composé de carreaux anciens en terre cuite. La matière est assez hétérogène et comprend de très nombreuses inclusions. C’est tentant, n’est-ce pas ? Mais rien ne laisse supposer qu’il s’agisse là du sol carrelé évoqué dans le Terrier. Et il est aussi extrêmement difficile de faire des trous dans le sol dans la maison, même en mode furtif !
Peut-être que la chapelle occupait l’espace d’habitation actuelle, peut-être pas. Les recherches sont en cours et nombres de folio d’archives nous attendent encore… Nous pourrions aussi nous pencher sur les éléments d’architecture réemployés dans les murs et sur les décors de la chapelle. Comment ? Je n’ai pas détaillé les décors. C’est incroyable, ce sera pour la prochaine fois alors…. Patience.