Les petites histoires de La Commanderie : une fenêtre ouverte sur l’Histoire – Partie 1
Vous le savez peut être déjà, pendant nos heures de détente, nous aimons nous intéresser à l’histoire de cette grande maison qui est la nôtre depuis presque quelques années déjà et qui porte mention de ses origines anciennes dans son nom : La Commanderie Saint Jean d’Artins. Ainsi, lorsque notre agenda nous le permet, nous laissons nos pensées et nos pas nous porter jusqu’aux archives de Poitiers où sont rassemblées les liasses de documents concernant la période hospitalière de La Commanderie. Deux heures de route sont alors nécessaires pour accéder aux précieux documents... Mais ce n’est pas de trop pour préparer l’ouvrage de la journée. Le plus dur c’est encore de savoir par où attaquer !!! Heureusement, nous connaissons exactement la personne qu’il nous faut pour cela : Kath, grande amie de la famille, archéologue et passionnée d’Histoire ayant une tendresse particulière pour le Moyen-Age. Bref, elle a parfaitement sa place ici même s’il nous faut la surveiller de près pour éviter qu’elle ne transforme la cour de La Commanderie en un grand chantier de fouilles … sujet oh combien récurrent d’amusement entre nous !!!
C’est donc ensemble que nous avons décidé de vous proposer une série d’articles sur le sujet. Celui-ci, est une sorte de mise en bouche historico-introductive. Il va nous permettre de poser le contexte historique et de définir ce qu’était une Commanderie, répondant par là même à un certain nombre de questions qui nous sont régulièrement posées par nos hôtes de passage à La Commanderie.
Commençons, voulez-vous par un voyage imaginaire dans le temps sur les traces des moines hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, responsables de la présence d’une Commanderie en ces lieux.
Je passe donc la parole à Théo qui vous contera ses aventures sous la plume de notre amie Kath es papillonnage de l’Histoire.
N.B : les mots en gras dans le texte ci-dessous sont l'objet d'explications dans le "Petit lexique pour les curieux" ci-dessous.
Un souillon : homme de basse condition, au service d'un seigneur qui est chargé des besognes les plus ingrates : ramassage du bois, emplissage des cheminées, nettoyage des latrines, etc. Le terme...
"Les aventures pré-artinoises de Théo ou les débuts d’une Commanderie hospitalière."
Chapitre I
« Théo ! Dépêche-toi un peu… l’ouvrage n’est pas fini ! ». Et oui, je suis Théo, servant du Commandeur d’Artins, ce qui est prestigieux pour un pauvre bougre comme moi. Suivre le Commandeur, le servir, devancer ses désirs. Enfin, vous savez bien ! Non ? Alors suivez-moi,je vais vous conter à la manière d’autrefois la folle destinée qu’est la mienne…
Tout commence par une rencontre sur le port. Je suis souillon d’un chevalier croisé, peu aimable, qui a la curieuse idée de passer de vie à trépas juste avant notre départ. Loin d’être libéré, me voilà passé parmi les ballots aux mains d’un moine de belle carrure qui m’embarque sur une nef amalfitaine. Direction : l’autre bout du monde connu ! La côte orientale de la Méditerranée et …les États latins d’Orient instaurés en 1099.
Jérusalem est une terre déchirée entre chrétiens et sarrasins (musulmans), nous arrivons devant un édifice, empli de blessés en tout genre, appelé Hospital Saint-Jean, protégé par Godefroy de Bouillon, puis par son frère Beaudouin, le 1er roi de Jérusalem. A cette époque, on m’appelle Théodred. Nous sommes en 1113 : l’heure est à la joie ! L’Eglise, par la voix du pape Pascal II vient de reconnaître les statuts de cette institution religieuse qui soigne les croisés et les pèlerins. Le pape la place même sous sa protection directe. Dans ce moment de bonne humeur générale, je deviens servant d’un autre moine. Nouveau frère des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, il doit faire vœu d’hospitalité en plus des trois vœux monastiques habituels à savoir la pauvreté, l’obéissance et la chasteté. Heureusement, tout ceci ne me concerne en rien !!!
L’euphorie est cependant de courte durée. Certes les donations à l’Hospital arrivent de tout l’Occident, de religieux et de laïcs … mais les guerres religieuses redoublent. Aussi, au cours de l’an 1120, mon maître et les autres membres de la communauté de Saint-Jean décident d’élargir leurs domaines de compétence. Diantre, quelle drôle d’idée !! Ils sont déjà hospitaliers et religieux. Cela suffit à remplir une vie !!! Voilà qu’ils deviennent en plus progressivement des militaires ! Des moines en « soldats du Christ » ! Encore une idée de mon maître pour me compliquer la vie. C’est comme, je vous le dis ! Et je devrais, moi aussi, mettre ma vie en péril pour suivre mon maître voulant défendre, armes en main, les chrétiens en péril qu’ils soient pèlerins ou croisés. Fichtre !
Je me suis dit que cet élan allait s’arrêter...Que nenni !! Voilà que tout ceci est réglementé en 1153 par une règle, approuvée par le pape. Ah, non ! Ce n’est plus le même pape : moi je résiste, lui pas !! C’est Eugène III qui reconnaît officiellement la règle des Hospitaliers. Des moines armés qui défendent et combattent… Vous y croyez, vous ? Au début, je me suis dit : « des moines avec des épées ?! Mais que vont-ils bien pouvoir en faire ??? ». Et bien en toutes confidences, beaucoup de ces frères-moines sont en fait d’anciens chevaliers, qui avaient déposé les armes pour donner des soins ! Alors, coté expérience… mieux vaut ne pas trop s’y frotter !
Bon sang ! Je babille, je m’égare : il me faut sur l’heure boucler nos bagages ! Nous partons après tierce pour ma terre natale…Ah, je suis heureux et, un peu triste à la fois, j’ai l’impression d’être quelqu’un ici, alors que là bas… rien, ni personne ne m’attend. Tous ceux qui le pourraient, me croient probablement ad patres. C’est l’heure ! Nous allons accompagner l’illustre Raymond du Puy qui doit organiser quelque peu les finances de l’Ordre en terre occidentale, à cette époque majoritairement chrétienne et catholique. Car tout cela part un peu en quenouille ! Il faut dire que les donations vont bon train : des terres, des fermes, des gens, des impôts … autant de recettes éparpillées au gré du vent ! Il faut mettre de l’ordre dans l’Ordre, c’est drôle non !!!
Chapitre II
Et bien, nous voilà à pied d’œuvre. Le siècle est passé sur moi comme le sourire d’un ange. Vous l’avez remarqué, je ne peux vieillir … privilège des narrateurs … Du coup, vers 1280 mon prénom évoluant au fil des ans et des modes, me voilà réincarné en Théodulf au service du chevalier Jehan de l’Ordre des Chevaliers de Saint-Jehan de Jérusalem… Vous avez remarqué : Jean, Jehan … Que voulez-vous les règles de l’orthographe sont encore loin d’être établies ! En revanche, l’ordre de l’Ordre s'est très clairement codifié. L’Europe médiévale catholique est alors divisée en huit zones appelées Langues : nous trouvons ainsi la Langue de Provence, la Langue d’Italie, la Langue d’Auvergne, celle d’Aragon, d’Angleterre ou encore de Castille, et enfin celle qui nous intéresse ici la Langue de France.
Chaque Langue est elle-même subdivisée en Grands Prieurés. Pour les terres de Langue de France (dans le royaume de France), il y a le Grand Prieuré de France, le Grand Prieuré de Champagne et enfin le Grand Prieuré d’Aquitaine dont le siège est dans la bonne ville de Poitiers. C’est d’ailleurs là, que nos pas nous mènent, le Grand Prieur a fait mander mon maître. Il me tarde d’y être. Je ne connais pas la ville, ses tavernes, ses échoppes. J’ai hâte de parcourir les ruelles encombrées de bourgeois et de marchands. Il parait que la ville bouillonne, se construit, telle une ruche agile et bruyante au milieu des cris, des copeaux de bois frais et des pots de chambre prestement déversés depuis les étages. Je n’allais pas être déçu, foi de Théo ! Pendant que le Grand Prieur reçoit mon maître, je surprends des brides de conversation, l’oreille collée à quelques tapisseries par les grâces d’une servante forte aimable. J’apprends ainsi que le Grand Prieur a déjà la charge de plus de 60 domaines qu’il « recommande » à des chevaliers émérites. La mission de « recommandation » semble être un honneur. Selon le Grand Prieur, elle confère à ces serviteurs un titre hors du commun : ils deviennent « Commandeurs » d’un domaine qui prend alors tout naturellement le nom de « Commanderie ». Logique, non ? « Commandeur Chevalier de l’Ordre de Saint-Jehan de Jérusalem »…. Cela laisse rêveur…. « Le bon jour, gente Dame, je suis servant du Commandeur Chevalier » : ça ouvre des portes, non ?!
« Théo, nous partons ! ». L’ordre claque comme un fouet sur un moustique ; je dégringole de mon rêve. Le ton est assaisonné d’un je-ne-sais-quoi d’impérieux. Mais il fait grand faim, je prends le risque d’un tour dans les cuisines en sous-sol. Agile, par nécessité uniquement, j’apprivoise quelques volailles rôties, escamote une boule de pain blanc alors que les poires tapées tombent dans mes poches. Un « Théoooo !!!!! », lointain et pourtant retentissant, me fait dresser les cheveux sur la tête. Je file aussi vite que mon butin me le permet vers la cour d’honneur, où déjà les chevaux attendent.
Mon maître ne quitte pas son air sombre. Il maugrée régulièrement. Il m’appelle. En quelques mots mon maître me donne ordre de trouver le bon itinéraire vers son nouveau domaine. Il n’a qu’une vague idée du temps nécessaire pour s’y rendre. C’est ainsi que j’apprends officiellement sa « recommandation », c’est-à-dire sa nomination au titre de Commandeur. Après tout, me dis-je, avançons d’étape en étape en espérant qu’un repas chaud et savoureux, suivi d’un lit douillet auront raison de cette humeur mauvaise, que franchement je ne comprends pas. C’est un honneur ! Mais j’avais tort… Nous voilà donc partis sur le chemin de Tours, escortés par une troupe de gens d’armes appartenant au Grand Prieur d’Aquitaine. Leur présence me rassure mais ne persuade en rien la bonne humeur, de poindre le bout de son nez sur le faciès fermé de mon maître. Les chemins ne sont point sûrs et ponctués d’une multitude de péages, qui génèrent des discussions plus ou moins brèves. Plus on s’éloigne de Poitiers, que je n’aurais à mon grand regret aucunement explorée, plus mon maître doit fréquemment remonter en tête de cortège pour être reconnu. Il entrouvre alors sa cape de laine. Cela suffit. La majorité des rustres reconnaît l’importance de l’écu de l’Ordre même si aucun n’imagine ni sa renommée, ni son ampleur. Une fois seulement, mon maître doit dérouler son laissez-passer dont l’énorme sceau tournoie sous les yeux ahuris du porte-étendard d’un seigneur local. Je vous passe sous silence, les mots assénés sur le bougre qui, de toute façon ne comprend que goutte !
Après quelques jours de cette ambiance rigoureuse, mon maître se décide enfin à parler. Sa nomination le remplit d’émotions et de craintes. Il sait que dans cinq années, il devra rendre sa charge et des comptes au Grand Prieur. Il faut qu’il réussisse ! En fait depuis, notre départ mon maître réfléchit à la meilleure organisation possible pour gérer ce bien de l’Ordre : il ne boude point son plaisir mais s’en inquiète !!! Jusque-là, j’étais simple serviteur, brusquement je me vois allouer une place plus importante : « scribe laïc» du Commandeur Chevalier …. Quelle merveille !!! … « Théo !!! » … Oups, pardon ! Le ton de mon maître me ramène bien vite à la réalité ! Il me donne la responsabilité de noter et de rédiger ses idées. Et oui, je sais lire et écrire en latin et en langue d’Oc, j’ai appris à Jérusalem avec le médecin de l’Hospital, qui m’a même enseigné un peu de grec. Parti de peu, je suis devenu indispensable !!! Oui, d’accord, j’exagère, mais peu de gens savent écrire à cette époque, vous savez !!! En écoutant mon maître, je comprends que le domaine, qui lui a été confié, doit devenir une source importante de revenus pour l’Ordre. Les domaines sont donc des Trésoreries qui alimentent l’Ordre des Chevaliers de Saint-Jehan afin que ses membres puissent continuer leur mission, là où le besoin se fait sentir.
En fonction de l’importance de La Commanderie, son Commandeur doit s’entourer du personnel nécessaire. Là, réside tout notre questionnement : mon maître ne connaît pas les lieux ! Même si le Grand Prieur a promis de nous apporter aide et protection, mon maître préfère s’organiser et penser par lui-même. Après tout, il a le statut de chevalier de 1er rang, en tant qu’administrateur ! Sous sa dictée, je passe de longs moments à noter sur mon parchemin, puis à le gratter pour en effacer les idées et en écrire de nouvelles. Certains sont même troués !! Ainsi mon maître souhaite-t-il s’entourer d’un receveur des impôts. Un seul devrait suffire, j’en suis persuadé !!! Pas des frères-moines sympathiques, ceux-là !!! Je dois ajouter à cela plusieurs fermiers … Combien ? Nous verrons bien car nous ne savons pas encore grand-chose sur notre destination. Parmi les chevaliers de 2ème rang, je note de requérir les bons offices d’un chapelain. Une inconnue subsiste : de combien de frères servants, mon maître devra-t-il s’entourer pour mener à bien sa mission ? Et si La Commanderie est importante, un intendant serait peut-être utile ? Mais pour tout cela, il faut attendre d’être in situ.
Subitement, le cortège s’arrête dans un cliquetis de mors et de brides : « Commandeur Chevalier ! », appelle l’homme de tête. « Messire Thomas, nous sommes en vue !». Nous sortons de la charrette qui nous abrite de la pluie fine tombant depuis plusieurs heures. Devant nous, dans une position dominante, se dessine la silhouette imposante de plusieurs bâtiments. L’heure est tardive. Une lueur de lanterne brille ; un « qui va là ?» retentit. Mon maître descend, puis salue chaque homme, en remontant à pied vers son nouveau domaine. Il ordonne à l’escorte de le suivre pour un diner chaud et une nuit au sec. Un ordre bref, sans prétention aucune. Messire Thomas du Bac, un homme qui gagne à être connu : il est Commandeur Chevalier de l’Ordre. En l’an de grâce 1281, il vient de prendre ses fonctions à La Commanderie hospitalière de Saint-Jean d’Artins.
Kath es papillonnage de l'histoire
Ainsi s’achèvent les premières aventures de Théo. Mais, n’ayez crainte, si cela vous a plu, vous le retrouverez bientôt pour vous narrer la suite de ces petites histoires in situ à La Commanderie d’Artins. Elles seront rythmées par les anecdotes historiques rencontrées au gré de nos recherches aux archives. A très vite donc ! Portez-vous bien en attendant !