Les petites histoires de La Commanderie : une fenêtre ouverte sur l’histoire - Partie 3
Voici enfin le troisième volet des aventures de Théo, à La Commanderie. Bonne lecture !
N.B : les mots en gras dans le texte font l'objet d'explications dans le "Petit lexique pour les curieux (3)" ci-dessous.
Les banalités : ensemble d'obligations d'une communauté paysanne pour son seigneur. Ces devoirs sont valables sur l'ensemble des lieues appartenant au seigneur autour du château. Cet espace est ...
«Les aventures de Théo pris dans la tourmente des pouvoirs.»
Chapitre I
Nous voici au tournant du XVes, années de violences, militaire et civile : notre ami Théo fait le dos rond en attendant des jours meilleurs. Et oui, mes damoiselles, mes damoiseaux, les siècles glissent toujours sur notre héros sans autre forme de vieillesse ! Et, nous le retrouvons, ici, galopant sur les chemins en direction du Loir pour régler quelques conflits de voisinage. Si La Commanderie a depuis longtemps assis son autorité sur le territoire local, les années de guerre pourraient avoir sapé quelque peu de sa puissance. Par la foi de Théo, c’est ce que nous allons voir !
Après le seigneur de La Roche-Turpin (voir les aventures précédentes), c’est celui de Beaugé qui vient marcher sur les plates-bandes, -oh pardon ! -, sur les rives du Commandeur Nicolas Le Comte, en 1416. Ce dernier doit alors trouver un accord pour un litige qui opposait La Commanderie audit seigneur à propos des moulins sur le Loir, situés en la paroisse d’Artins. L’opération est délicate à mener. Il semblerait qu’un moulinier -ou meunier- du Commandeur, nommé Jehan Crasifon, demeurant à son moulin, ait décidé de se transporter en la métairie de La Borde pour accroître ses gains suite à quelque fête royale. Il aurait travaillé pour le compte du seigneur de Beaugé au détriment de celui de La Commanderie. Quelle indélicatesse !!! Heureusement, Nicolas Le Comte veille aux grains !! Je sais, l’expression est aisée mais au combien justifiée ici. Bref, le Commandeur, sans doute alerté par Théo, prend les mesures qui s’imposent ; il dépêche frère Jean Léger sur place pour ramener le meunier imprudent à son moulin et les justes subsides dans le Trésor de La Commanderie. A chacun ses banalités !
Ah, son Commandeur Théo l’aime bien ! Rien ne l’arrête, pas même les yeux papillonnants d’une charmante donzelle ! Théo frétille d’impatience de tout vous narrer par le menu. Figurez-vous que les rivalités entre les familles, sur les terres de La Commanderie, vont bon train. Comme partout, me direz-vous ! Certes, toutefois il est assez rare de voir ces démêlés consignés par écrit, et de les retrouver au détour des archives.
Tout commence lorsque le Commandeur décide de faire vérifier minutieusement les comptes. «Oh ! Par mégarde ! Saperlipopette et sang de navet !!!» s’est peut être écrié le nouveau Trésorier. Certaines fermes ou métairies ont, apparaît-il, accumulé un grand retard dans le paiement de la rente (loyer), faisant reporter moultes fois les échéances pour faits de guerre. Certes, la démarche se comprend, mais elle est devenue une mauvaise habitude.
Pour faire la tournée des payeurs récalcitrants, Nicolas Le Comte mandate donc le fidèle Théo pour seconder le frère Guillaume Pinaut, âgé de 70 ans, qui vient à peine d’arriver. Sans doute son grand âge fera bon office ! Et bien, Théo était loin d’imaginer les détours que prendrait cette histoire !
Arrivés à la métairie du village des Hayes, ils sont reçus, non par le teneur du lieu Jehan Rousselet mais par sa dame. Celle-ci leur expose une affaire compliquée dans laquelle la famille tenant la «Petite Ronce» aurait tous les torts et serait leur débitrice… En effet, selon les dires amers de ladite dame des Hayes, les gens de la «Petite Ronce» refusent toujours de rembourser le prêt qui leur a été très généreusement fait. Furibonde, la dame conclut : «Saincton Tafforeau, fermier de La Commanderie m’est témoin !». Tournant les talons, elle met fin à l’entretien, renvoyant prestement frère Guillaume. «Fichtre, quelle femme !» commente Frère Guillaume, encore éberlué et ne sachant plus que faire, en s’en retournant lentement à La Commanderie. Son manque de vélocité est imputable aussi bien à son âge vénérable qu’à sa soudaine déconvenue face à tant de mauvaise humeur. Quelle curieuse contrée, pense-t-il alors. Comment diable peut-on être ainsi reçu en place du Commandeur ? Toute déférence aurait-elle disparu ? Les petites gens n’en feraient-ils qu’à leur guise ?? Et depuis quand les femmes parlent pour leur homme ? Frère Guillaume serait volontiers scandalisé, s’il avait une once de méchanceté.
En revanche, le Commandeur, lui, est furieux. Lorsqu’il entend cette histoire, il estime son autorité fort malmenée… Toutefois, en homme avisé et prudent, il assigne frère Guillaume pour une visite auprès de la famille de La «Petite Ronce» pour mieux comprendre la situation. En outre, eux aussi doivent des arriérés de rente. Théobald se voit confier le délicat rôle de témoin : écritoire en main, il repart dès le lendemain sur les talons du frère Guillaume, toujours bien embêté… Sur place, une nouvelle épreuve de patience attend nos compères : cette fois point de teneur, point de dame, mais une ravissante donzelle à l’air angélique (ah, oui, Théo est sous le charme !!). Elle écoute les remontrances faites par le Commandeur, en la voix frêle de frère Guillaume. Soumise, semble-t-il, la damoiselle explique alors la vilenie de la famille des Hayes, ses engagements rompus sur fond de mariage annulé pour cause de dette non remboursée entre les deux familles devant Jean le Ber le laboureur, Guillaume Chesneau le fermier et aussi Jean de Lignon le charpentier…Que de témoins dans cette affreuse affaire !! Le désespoir de la petite laissée pour compte est encore visible ! Frère Guillaume se dandine, ému comme un nouveau né. Il ne sait plus à quel saint se vouer !! Que faire ? Il n’ose plus lui demander de payer la rente et encore moins le remboursement de l’emprunt !!! Il se tourne alors vers Théo … Mais c’est sans espoir de ce coté. Les yeux de merlan frit qu’affiche son témoin, soulignent son emprise… Ah, la jeunesse !!!
Sur le chemin du retour vers La Commanderie, les deux compères échafaudent tous les possibles pour éviter le Commandeur. Mais Nicolas Le Comte n’est pas homme à s’en laisser «conter» !! Il convoque les deux missionnés dès le souper achevé. L’audience se déroule de façon peu amène… Les deux compères, la tête basse, sentent passer la vivacité de la morale, le poids des saintes Écritures, la perspective des coulpes et autres «biens faits» pour eux … Aïe !!! Le Commandeur est furieux et l’affaire n’en reste pas là. Le lendemain, à peine laudes achevées, il fait apprêter son cheval, secoue un Théo endormi et en route pour les métairies. Il est juste 4h30 du matin fraichement sonné ! Au sortir de La Commanderie, Théo constate que les quatre témoins, susnommés par les deux familles, ont eux aussi été sortis du lit par les hommes du Commandeur … Ils attendent à la porterie de La Commanderie, bien encadrés, ils sont loin d’être fiers de leur situation.
- «A La Petite Ronce !» Tonne alors le Commandeur en prenant la tête du cortège.
- «Vous, amenez-moi les Hayes in situ !» Ordonne-t-il à quelques frères armés, au milieu du fracas des sabots.
Bien évidemment, les métairies s’éveillent doucement et aucun habitant des lieux n’a envisagé l’arrivée, sans tambour, du Commandeur en personne !!! Dame ébouriffée et damoiselle échevelée sont renvoyées à leurs occupations, sans sourcillement possible. Pas une récrimination ne fuse ! Le Commandeur n’est pas de ceux que l’on contrarie ... métayers et témoins sont ramenés penauds à La Commanderie, et sermonnés de verte façon. Balbutiant, ils se confondent en excuses ; les témoins se rétractent, ils n’ont finalement été témoins de rien mais étaient trop heureux de l’annulation des noces car tous voulaient la demoiselle en épousailles !
- «Les quatre…, bernés de la même façon !» Se dit Théo, en écarquillant les yeux à l’écoute des complaintes.
- «Y sont pas fins les bougres !» Murmure Théo à frère Guillaume en le poussant du coude.
- «Toi non plus!» Lui rétorque le frère, mi-figue mi-raisin. Et Théo baisse la tête en piquant un fard jusqu’aux oreilles.
La fin de matinée arrivant, tous suivent l’office et s’accordent mutuellement le pardon. Puis, devant le Chapelain, ils se remboursent leurs dettes respectives. Comble de facétie, le Commandeur, dans un éclair de génie, lie les deux familles par un contrat ! Les familles sont ainsi amenées à signer un acte d’entraide … manouvrière et financière. Bref, tel est pris qui croyait prendre ! L’affaire, sur place, est rondement menée.
Cette première affaire étant réglée, le Commandeur renvoie les deux chefs de famille devant le présidial de Tours pour démêler leur refus de payer leur rente à La Commanderie et avoir ainsi bafoué l’autorité du Commandeur. Il veut marquer le coup.
Plus tard, Théo toujours assis dans la salle du Chapitre presque déserte, glisse un œil vers le Commandeur. Oh !!! Surprise !!! Ce dernier sourit ; puis il rit franchement en se tapant les genoux de ses grandes mains.
- «Ah ! Ah ! Ah ! Si vous aviez vu vos têtes à tous deux !!» s’esclaffe-t-il en se remémorant son sermon de la veille.
Théo fait la moue, tout cela pour 3 septiers de seigle et 13 boisseaux de froment annuels non réglés ! Il n’y avait pas de quoi en faire un équipage … Mais Théo accepte la leçon et c’est de bon cœur qu’il joint son rire à celui du Commandeur … tout en se délectant à l’idée de raconter la fin de l’aventure à frère Guillaume qui doit toujours être rouge de confusion !
Chapitre II
Les Commandeurs qui se succèdent, Jehan Le Comte (et oui, les mêmes grandes familles se retrouvent toujours !) puis Guillaume d’Appel-Voisin, ont fort à faire en ce milieu de XVes. Voilà qu’ils doivent de nouveau faire feu de tous bois pour protéger La Commanderie et leurs gens. Monseigneur le Comte de Vendôme leur reproche de ne pas envoyer les gens de La Commanderie accomplir leurs corvées aux châteaux de Montoire et de Lavardin. En effet parmi les privilèges seigneuriaux, celui de l’entretien du château avoisinant est de loin la corvée qui pèse le plus, sur les petites gens. Il faut à tour de rôle y curer les fossés et monter la garde entre autres choses.
Une fois de plus, les Commandeurs doivent réaffirmer la franchise des terres et des gens de La Commanderie, c’est-à dire l’exemption des corvées, puisque rien ne relève de la justice du Comte de Vendôme. Mais le Comte de Vendôme fait appel de ces faits auprès des receveurs royaux qui poursuivent alors les Commandeurs. Ah, le zèle de l’administration, déjà … Les Commandeurs sont alors obligés d’avoir recours à Jehan de bourbon, bastard de Vendôme, chambellan du roi. Ce dernier rend un avis favorable à l’Ordre et déboute le plaignant. Le Comte ne peut alors point se fâcher, ni faire travailler les gens du Commandeur de force… La main d’œuvre se ferait-elle rare ? Les campagnes seraient-elles devenues désertes en cette fin de guerre ? Ou bien le seigneur serait-il devenu un pleutre ? Théo a bien sa petite idée…mais pour une fois, il se taira ! Pourtant, peut-être avez-vous, vous aussi, remarqué la similitude des noms de famille ? Devrions-nous ajouter un règlement de compte familial, en sus de cette histoire de droits ?
Il fait beau, le soleil automnal darde ses derniers rayons sur les champs fraichement labourés … le Loir gazouille gentiment dans son lit … Peut-être, l’hiver sera-t-il clément avec les hommes ? Mais ce serait compter sans une nouvelle épreuve qui attend La Commanderie Saint-Jean de Jérusalem, tapis dans l’ombre… un mystère !
A bientôt pour de nouvelles aventures !