Les petites histoires de La Commanderie : partie 4.
C'est avec beaucoup de plaisir que nous ouvrons, pour vous aujourd'hui, un nouveau volet des aventures de Théo, notre guide aussi facétieux qu'intemporel, venu nous transmettre les histoires d'un autre temps, le temps de la splendeur de La Commanderie Hospitalière de Saint Jean de Jerusalem.
Une fois n'est pas coutume, nous avons laché la bride de l'Histoire pour aller faire un tour du coté de la fiction pure au gré de l'imagination prolifique de notre narratrice en chef, Kath "es papillonnage de l'histoire". Le contexte historique est bien sûr fidèle à la réalité mais tout le reste n'est que pure invention. Toute ressemblance avec la réalité serait donc totalement fortuite, hasardeuse, voire à l'insu de notre plein gré. Et c'est à la façon d'une intrigue policière que nous avons souhaité vous raconter cette aventure peu ordinaire...
Nous espérons que cela vous divertira autant que nous...
"Les aventures singulières de Théo ou Meutre aux épices sur les terres de La Commanderie..."
Chers amis lecteurs, nous avions laissé notre bon Théo, en compagnie de l’aimable Commandeur des Hospitaliers de Saint-Jean d’Artins, insouciant, heureux de traverser les siècles et les histoires des hommes, de partager quelques bribes de leur vie… Cette quiétude est pourtant de courte durée.
C'est ainsi que nous retrouvons Théo au milieu d’un XVe siècle déjà généreusement empli d’aventures et de mésaventures. Théo, devenu désormais Théodebert, s’éveille doucement dans la tiédeur d’un matin d’octobre. Il tend l’oreille : point de piaillement, de renâclement de sabots, point de petits pas affairés des frères servants parcourant la cour en tous sens vers quelques tâches attendues… Rien ! Levé tardivement (ah oui, c’est le privilège des héros veillissants !), Théo pousse le vantail tout neuf de sa fenêtre et constate le calme étrange de la cour En regardant de plus près cette tour qui s’élève depuis le coteau et dont la couverture en poivrière souligne la qualité d’exécution, Théo s’interroge : même les pigeons qui, d’habitude font grand chœur depuis la fuye, semblent tenir bec clos. Que se passe-t-il donc ? Aurait-il oublié une procession au village ? Théo descend de sa chambrette située à côté de celle du Commandeur, signe de l’importance qu’il a acquise au cours des siècles, sur la pointe des chausses… Personne ! Il s’aventure alors dans la cuisine, le feu entretient doucement le petit bouillonnement d’un brouet mais là encore il n'y a personne. Le seul cri que Théo entend est celui de son estomac ! Il scrute l’endroit des yeux. C’est une aubaine : aucune main ne semble prête à surgir pour s’abattre sur lui en le traitant de « voleur ! » : il s'empresse donc de chaparder un encas. Du pain encore tiède, un gros fromage crémeux : miam !!! Quelques mendiants salés tiédissent sur la table. Ah !, se dit Théo l’air taquin, à défaut des fruits du verger mis en réserve pour l’hiver et des confitures stockées à l'abri des gourmands, mangeons donc ces douceurs si ouvertement offertes ! Ciel ! Point de rillettes de Montoire au menu (Voyons Théo, il te faudra encore traverser quelques siècles avant de pouvoir y goûter !); en revanche une tranche de lard abandonnée près du plat d’étain lui fait de l’œil. Théo soupire d'aise. Après tout, il fait bonne œuvre en nettoyant la cuisine de tout ce qui y traîne.
Croquant dans le pain à belles dents, il s’apprête à sortir, quand il tombe nez à nez, ou plus exactement « pain à nez » sur…le Trésorier de La Commanderie. Rouge jusqu’à la racine des cheveux, Théo tente une explication gargouillante…
- On ne parle pas la bouche pleine, l’interromp le Trésorier, tête baissée, puis de finir d’une voix atone : le Commandeur t’attend.
Pas de sermon, pas de coulpe en prévision, pas de …enfin rien, quoi !!? Théo sent un étrange frisson lui parcourir le dos : il s’est vraiment passé quelque chose… Quelque chose de suffisamment important pour que son forfait soit balayé d’un revers de main. Fourrant ces victuailles dans ses poches, Théo remonte dans sa chambre, attrape écritoire et encrier et se rue dans l’escalier, engloutissant par la même la tranche de lard grillé tout en enfilant ses bottes. Ah, vous aussi vous voudriez pouvoir tout faire en même temps, tout en évitant une chute monumentale dans les escaliers ??? Bien, c’est l’avantage des personnages de fiction : on en fait bien souvent des héros des gestes quotidiens impossibles à réproduire !!! Allons, reprenons-nous et rattrappons Théo dans la cour...
Théo contourne justement la chapelle qui s’élève majestueusement ; la porte du pignon est close…
- Curieux ! se dit Théo. Jetant un œil le long du mur de la nef, il aperçoit son Commandeur, Jehan Le Comte (à chaque épisode son Commandeur mais c'est parfois une histoire de famille. Cf. les épidoses précédents) assis sur son banc, les mains posées sur les genoux.
« Maître ? » murmure doucement Théo, tant pour signaler sa présence que par inquiétude.
Le Commandeur relève la tête, le visage fermé, l’air las. « Mon bon Théo, une triste affaire nous attend… », dit-il, en se relevant.
Une cavalcade se fait d’un coup entendre… Des gens d’armes arrivent en rangs serrés. La bannière flottante est celle du comte de Vendôme, sans doute des gens provenant du château de Montoire-sur-Loir. A peine le temps de revenir de cette fracassante entrée, qu’un autre tumulte de sabot retentit et, cette fois, ce sont les gens de l’évêque qui passent la porterie !!! Ils tournent dans la cour dans un parfait ensemble, et ferment leur cercle autour du Commandeur et de Théo. Théo écarquille les yeux ! Ils sont venus arrêter son Commandeur ! Ce n’est pas possible !!! Par réflexe, Théo agrippe la cape de son protecteur.
Ce dernier, étonné, le regarde un bref instant, puis il pose une main rassurante sur la tête de Théo et lui murmure : « Théo, depuis le temps, tu sais bien que seul le Grand Maître de l’Ordre et le Pape ont le pouvoir d’arrêter les Commandeurs ». Théo à moitié rassuré se demande toutefois comment cet homme arrive à lire dans ses pensées !
Pas le temps de s’éterniser, un frère servant sort alors avec deux chevaux de l’écurie troglodytique. La monture de Théo sonne faux sur le pavé : l’animal a perdu un fer. Pas de temps de s’interroger, le Commandeur monte déjà en selle et fait signe à Théo d’en faire de même. Tout le monde quitte le havre paisible de La Commanderie. En passant la porterie, Théo se retourne sur sa selle et regarde longuement le Trésorier figé au milieu de la cour, les bras ballants. Soudain, Théo envoie une prière muette à saint Jean, dont la statue en bois polychrome se devine à peine par delà la petite porte latérale de la chapelle, restée ouverte.
« Protège-nous, bon saint ! » pense-t-il très fort. La composition étrange de cet équipage ne lui paraît pas de bon augure. Et diantre, il a raison !!! Ses inquiétudes décuplent quand, suivant des yeux l’ondulation de la croix de l’Ordre sur la cape du Commandeur, il voit apparaître le fourreau d’une épée ! Le Commandeur sortait rarement en arme ; ceci étant, ce détail rassure quelque peu Théo. Primo, personne n’en veut à son Maître et secundo, si l’affaire inconnue vers laquelle ils s’avancent, tourne mal, ils auront de quoi se défendre !
Quittant le petit chemin de La Commanderie, le cortège armé prend le chemin du Loir au creux de la petite vallée. Puis il bifurque à hauteur du chemin des Chaussées. Vous suivez ? C'est juste là ! Théo a inscrit cette nouvelle pâture sur le terrier le plus récent (Cf. les aventures précédentes), dont les cinq quatrièmes ont été vendus à La Commanderie par le sieur Etienne Porchier !
Bref, arrivé au dit lieu, les hommes mettent pied à terre et se dirigent vers un groupe d’hommes de la paroisse. Le Commandeur prend les choses en main, écarte le groupe agité, calme les esprits d’un simple geste de la main.
- Qui nous mène ?, demande-t-il fermement. Un homme, nommé Crasifon s’avance, sans doute un membre de la famille du moulinier. Il emmène le cortège à la limite de la pâture, marquée par un fossé surmonté d’un petit tas de pierre, visible, facile à repérer et utile pour « entreposer » les cailloux qui parsèment les cultures. Carsifon enjambe le fossé et entre dans le verger du Commandeur, puis il longe l’orée dudit verger.-Non !, Oh non !!, pense Théo, pas par là ! Mais, Théo a vu juste, l’homme stoppe à l’angle du verger, là où les terres relèvent du comte de Vendôme. Mais, se dit tout aussitôt Théo, s’il était question d’un litige de terre, point besoin alors des hommes de l’évêque !!!
Théo décide de s’approcher, se faufile entre les gens d’armes et, oh ! Horreur, un homme git en travers du fossé, un pied chez l’évêque, un bras chez le Comte et le reste chez le Commandeur !!
Théo est atterré : cela se complique vraiment, puis d’un coup il se rend à l’évidence, l’homme au sol ne bouge pas !…Serait-il….mort ???
Et, tel est bien le cas. Après de nombreux palabres entre « chefs », l’affaire est confiée au Commandeur. Les hommes de l’évêque se retirent trop heureux d’échapper à cette situation. Les gens d’arme s’en retournent eux aussi, houspillant bêtes et paysans attroupés là. Leur envie évidente d’en découdre, de provoquer quelques bagarres fait frissonner Théo. Il n’en demeure pas moins très étonné par ce revirement. Il s’apprête à en faire part au Commandeur, mais celui le hèle d’une voix blanche.
- Théo, file chercher le mire (le médecin dirait-on aujourd'hui) ! L’ordre est terriblement pressant.
Théo s’apprête à répliquer que le médecin de La Commanderie serait mieux placé, avant de se rappeler que celui-ci a reçu une lettre de congé pour aller quérir des ingrédients pour de nouveaux onguents.
- Théo, trouve-le !, insiste le Commandeur en repoussant Théo hors de la scène. Théo est troublé, agacé… Cette saute d’humeur s’éteint très vite car le mire arrive, à sa rencontre, bride abattue, et son cheval pile des quatre fers devant un Théo stupéfait. Vu l’état du palefroi, le mire a mené un train d’enfer !!!
- J’étais au bourg, on m’a prévenu, lance-t-il en guise d’explication. Mène-moi, mon petit Théo, continue-t-il, le ton grave. Théo rebrousse chemin en direction du Commandeur. Ce dernier a déjà fait refluer les curieux. Ils ne sont plus que tous les trois, enfin quatre avec le mort ! Théo ne comprend toujours pas ce qui se passe, il réfléchit… Il y a un mort, certes, malheureusement ce n’est pas extraordinaire et c’est toujours contrariant. En regardant le fossé, les pièces du puzzle prennent place : l’homme étendu est en simple tunique et chausses, mais un détail attire l'attention de Théo. Dans sa main, l’homme tient serré un morceau de tissu arraché portant l’écu des Hospitaliers !!!
-Bon saint Jean !!!, s’exclame horrifié Théo, c’est un frère !! Pourquoi personne ne l’a dit ?! Et voilà pourquoi le Commandeur a demandé aux gens d’armes de retourner vaquer à leurs occupations… L’affaire ne les concernait point…enfin, pas pour l’instant.
Théo penche la tête pour voir le visage du frère avec la crainte de reconnaitre un familier…Mais où est donc la tête ? Le mire a la même idée, il descend dans le fossé et, enjambant le corps, il le soulève sous les bras et le retourne avec le plus de respect possible, vu la situation…
Pendant que le mire ahane, souffle sous l'effort, le Commandeur fait tourner entre ses doigts le morceau d’étoffe arrachée. Quel message, le religieux a-t-il voulu transmette avant de mourir ?
- Cette fois, c’est clair !, annonce ce dernier à l’attention du Commandeur. C’est un meurtre !
La sentence est tombée, plate, froide cinglante comme un vent d’hiver. Aucun doute ne subsiste : le mire indique à la fois la plaie béante sur l’estomac et le visage écrasé de l’Hospitalier.
- Les gens d’arme vont devoir revenir…, gémit Théo, sans s'en rendre compte.
- Silence Théo !, assène le Commandeur. Le ton n’accepte aucune réplique.
- Oh ! Mon Seigneur !!, s’exclame le mire, attirant prestement l’attention du Commandeur. Il vient d’ouvrir le poing serré du frère : au creux de la paume, tous distinguent nettement …des grains de poivre noir ! Voilà encore autre chose !!!
Théo ne sait plus à quel saint se vouer, tout ceci est simplement horrible ! Qui a ainsi réduit à l’anonymat un frère hospitalier de l’Ordre de Saint-Jehan de Jérusalem ? Qui ?? Pourquoi ??? Comment ???? Et, que font des grains de poivre dans cette histoire ?????
Affaire à suivre…